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LA BRETONNE....

  En reprenant ce texte publié il y a bien longtemps, j'ai retrouvé ce petit torrent qui dégringolait des Corbières pour se jeter non loin de chez nous dans Aude.
La Bretonne. Insignifiante sur une carte mais tellement chère à mon cœur!


 Juste à l'aplomb de notre jardin, elle formait un trou d'eau assez profond, bordé de joncs et de plantes aquatiques.
Les femmes du voisinage y venaient faire leur lessive, agenouillées dans leur caisse bourrée de paille.
Les libellules moirées d'arc-en-ciel y folâtraient nombreuses.
La  Nature m'y a offert ses premières leçons car je n'avais pas le droit d'aller jouer au village..

 Les photos montrent combien elle devenait insignifiante l'été avec ses quelques flaques.  Cependant, en cas d'orage, elle pouvait se gonfler rapidement et monter de plusieurs mètres.
Comme l'embouchure d'Aude était toute proche, les nappes se rejoignaient et envahissaient les vignes et notre jardin...Souvent très rapidement car la Bretonne charriait les eaux des orages bien en amont..

 

  Mémoire universelle...! ... Qui ne pourra se reconnaître dans ce rituel d'enfants ?

     Qui  n'a jamais offert une fleur à sa maîtresse ?

 

    Chaque retour de printemps et plus particulièrement la percée des premières ficaires me replongent en ce temps béni de l'Enfance.  

     Je crois que pour tous, même si elle fut dure- et peut-être pour cela- l'empreinte  secrète de ses rêves inaccessibles ou inachevés  demeure "  à fleur d'âme" , dans l'attente vigilante du moindre écho qui la fera monter au jour!

 Ficaires..Bonheurs d'enfants

         PARFUMS D'ENFANCE... C'est ainsi que je devrais plutôt intituler ce feuillet de mémoire!

  Aussi loin que remontent mes souvenirs, je me revois sur le chemin de l'école, trottinant dans "le chemin des vaches"  qui m'effrayait tant par la menace d'une rencontre avec les deux dernières vaches du village ! 

         Même si elles avançaient en se  balançant paisiblement, plus que leur énorme taille, c'était leur regard qui me glaçait le sang! Aussi, du haut d'un talus, j'essayais de deviner si la voie était libre.  

 Je dévalais alors l'aplomb du cours d'eau que je passais le plus souvent à gué. Aujourd'hui, son lit n'est plus qu'un fouillis de broussailles agressives, comblé pour cause de déviation!

                  Chemin-vers-le-gue.JPG

 

      La Bretonne, torrentueuse dans ses Corbières natales,y  serpentait paresseusement, juste avant d'être engloutie par l'Aude, à quelques centaines de mètres de là.

                   Le-trou-ss-le-pont.JPG

     Combien d'heures y ai-je passées, âme solitaire, à observer les énormes poissons-chats cherchant inlassablement un moyen d'évasion ?

Je les suivais de flaque en flaque prisonniers de cet infranchissable chaos ! 

 De temps à autre, ils gobaient quelque insecte imprudent glissant par magie sur l'eau stagnante et leurs barbillons flottaient un instant à la surface... J'aurais voulu les rassurer et dire à ces compagnons éphémères qu'à la première pluie d'énomes vagues me les arracheraient et les emporteraient en eaux profondes !

Lit-de-la-Bretonne.JPG

              J'habitais loin de l'école, à l'écart du village et mes petites jambes couraient dans l'herbe mouillée de rosée, dès les premiers jours de printemps , en quête de quelque merveille à offrir à ma Maîtresse d'Ecole! Madame était ma seconde maman- même si j'en avais une peur bleue!
 

  Je glanais ainsi les premières ficaires, quelques violettes , des herbes folles , peut-être aussi pour tromper l' angoisse qui m'étreignait sitôt la porte de la maison refermée et ne cessait de croître à mesure que je me rapprochais de l'angle de rue fatidique!

 

Violettes                                   

       Arrivée devant la triple façade en enfilade, je reprenais ma respiration sur le perron de l'Ecole des Filles. 

   La porte d'entrée franchie, je marchais sur la pointe des pieds pour que le carrelage ne trahisse pas trop les fers de mes chaussures d'hiver!

Ecole détail fl

 Je grattouillais alors la haute porte de la classe plutôt que je ne frappais , guettant une invitation autant espérée que redoutée.
  Je m'avançais alors précautionneusement avant de me hisser sur l'estrade pour déposer mon trésor !                Bouquet d'enfance

 

     Madame, suspendant un instant son porte-plume à l'encre rouge, levait ses yeux bleu myosotis par-dessus ses lunettes pour me  gratifier d'un sourire que je recevais comme une bénédiction!

 

arf mix myosotis

 

        Elle avait aussi une façon particulière de l'accompagner d'un hochement de tête approbateur.

  Mon cœur battait à tout rompre d'un bonheur intense que je savais fragile car la classe allait reprendre avec toute la peur du monde de ne pas travailler assez bien! 

 

                                                                        Chemin des vaches

  C'est donc ce chemin des vaches qui était mon complice, mon pourvoyeur de fonds , en attendant la floraison du jardin de ma maman...

    Aussi m'est-il douloureux de le voir en cette désolation alors qu'il bruissait des rires de lavandières et des cris d'enfants!

   Car, en ce temps-là ,les femmes venaient encore pour les petites lessives battre leur linge à la rivière. Leurs enfants en profitaient pour se faire peur au bord du "trou" aux eaux glauques , imaginant quelque monstre tapi dans la vase...!

             

Le-gue.JPG

                  Tous ces précieux bonheurs,si secrets, je les ai revécus lorsqu'à mon tour, assise à mon bureau ou debout sur le seuil de mon école, je recevais ce gage d'amour "de mes petits!"

  Plus de fers aux chaussures, plus d'angoisse, ils accouraient vers moi comme une volée de moineaux!

      C'était à celui qui arriverait le premier!

 La nature leur facilitait la cueillette car, dans ce village de montagne, elle nous embrassait de toutes parts et il leur était bien difficile de "faire la surprise"...!

 

Jonquille sauvage de ma haie

 

      Aussi, certains avaient-ils  trouvé un moyen qui leur demandait quelques sacrifices: ils se levaient plus tôt pour arriver le premier ou la première.

 Ces jours-là, ils "grattouillaient" comme moi avant eux, s'avançaient la main dissimulée dans leur dos puis , tout près du bureau, ils faisaient jaillir leur récolte du jour, leurs yeux brillant de cette même joie que j'avais ressentie avant eux !

 

 Coquelicots

 

  Je dois avouer que je fus exceptionnellement gâtée car chaque famille avait un somptueux jardin et à la belle saison, en plus des bouquets sauvages, je recevais chaque jour d'énormes gerbes qui engloutissaient mes petits élèves...

                                      103_1222.jpg

       

                Cependant, les temps avaient changé: je n'avais pas à lever mon porte-plume- tout au plus à suspendre un instant la craie-!

  Je ne hochais pas la tête car....spontanément, ils me sautaient au cou et me plaquaient de gros baisers sur les joues!

 


    C'est ainsi que "les bisous de Madame" devinrent non seulement  un précieux sésame mais aussi un bien tendre gage de réussite comme une bien cruelle punition lorsqu'il était refusé !

          " Dis? ....Tu me fais un bisou?" 

                                                Bsaponaire

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