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CONTRE LES BÛCHERONS DE LA FORÊT DE GASTINE - Pierre de RONSARD

  Pierre de RONSARD 
En lien avec les poésies publiées sur  "Le Figuier bleu".. 

 


                     CONTRE LES BÛCHERONS DE LA FORÊT DE GASTINE 
    
 Douleur de RONSARD de voir abattre une partie de "sa" forêt de Gastine, vendue par le roi de Navarre ( futur HENRI IV)
            - Lagarde & Michard-


 

Ecoute, bûcheron,arrête un peu le bras!
Ce ne sont pas des bois que tu jettes à bas;
Ne vois-tu pas le sang, lequel dégoutte à force,
Des nymphes qui vivaient dessous la dure écorce?
Sacrilège meurtrier, si on pend un voleur
Pour piller un butin de bien peu de valeur,
Combien de feux,de fers,de morts, et de détresses,
Mérites-tu, méchant, pour tuer nos déesses?


Forêt, haute maison des oiseaux bocagers,
Plus le cerf solitaire et les chevreuils légers
Ne paîtront sous ton ombre, et ta verte crinière
Plus du soleil d'été ne rompra la lumière.
Plus l'amoureux pasteur, sur un tronc adossé,
Enflant son flageolet à quatre trous percé,
Son mâtin à ses pieds, à son flanc la houlette,
Ne dira plus l'ardeur de sa belle Jeannette.

Tout deviendra muet, Echo sera sans voix,
Tu deviendras campagne, et, en lieu de tes bois
Dont l'ombrage incertain lentement se remue,
Tu sentiras le soc, le coutre et la charrue;
Tu perdras ton silence,et, haletants d'effroi,
Ni Satyres ni Pans ne viendront plus chez toi.

 

Adieu, vieille forêt, le jouet du Zéphyre,
Où premier j'accordai les langues de ma lyre,
Où premier j’entendis les flèches résonner
D'Apollon, qui me vint tout le cœur étonner;
Ou premier, admirant la belle Calliope, 
Je devins amoureux de sa neuvaine trope,
Quand sa main sur le front cent roses me jeta,
Et de son propre lait Euterpe m'allaita.

Adieu, vieille forêt, adieu têtes sacrées,
De tableaux et de fleurs autrefois honorées,
Maintenant le dédain des passants altérés,
Qui, brûlés en l'été des rayons éthérés,
Sans plus trouver le frais de tes douces verdures,
Accusent tes meurtriers et leurs disent injures.
 

Adieu, chênes, couronne aux vaillants citoyens
           ../....
Que l'homme est malheureux qui au monde se fie!
Ô dieux, que véritable est la philosophie,
Qui dit que toute chose à la fin périra,
Et qu'en changeant de forme, une autre vêtira!
De Tempé la vallée sera un jour montagne,
Et la cime d'Athos une large campagne;
Neptune quelquefois de blé sera couvert;
La matière demeure et la forme se perd.

                          Élégies, XXIV (V,19-68)

 

 


      

Notes/
 Le coutre: Couteau de la charrue
Calliope, Euterpe: muses
Echo: Nymphe
Trope: Troupe
Tempé: Vallée de Thessalie
Athos: Haute montagne de Chalcidique
Neptune: La mer

 

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